Au jour le jour

Au nom des ouvriers

Quelle représentation politique des classes populaires ? On pourrait se réjouir du retour, le temps d’une campagne électorale, des ouvriers sur le devant de la scène médiatique. Mais, en réalité, les ouvriers sont parlés : eux, ils ne parlent guère. La scène politique s’est rétractée autour des classes dominantes. Et les conditions du jeu politique font que les classes populaires sont en quelques sortes dépossédées des moyens de représenter et défendre leurs intérêts sociaux.

Dans le cadre de cette campagne électorale, les références publiques aux « ouvriers » et, plus largement aux « classes populaires », ou encore au « monde du travail », se multiplient. Invisible en temps ordinaire, le monde ouvrier retrouve soudainement une existence médiatique sous le double impact d'une actualité sociale faite de fermetures d'usines et de stratégies de mobilisation électorale.

Cette situation est inédite car la campagne précédente avait plutôt braqué les projecteurs sur les « quartiers populaires ». Plus que les usines, c'était la banlieue qui symbolisait en 2007 la prise en compte de la « question sociale » par les candidats. En 2012, la crise de l'emploi industriel et les luttes ouvrières ont mis les usines au cœur du débat électoral. Résultat, la chasse aux voix ouvrières donne lieu à des confrontations politiques virulentes et les visites d'usine deviennent un passage obligé pour des candidats. La lutte électorale autour de ce groupe est d'autant plus rude que les ouvriers se caractérisent désormais surtout par leur absentéisme électoral et constituent donc pour les partis une réserve de nouveaux électeurs à fidéliser.

Ce retour sur la scène publique de la figure de l'ouvrier intervient pourtant dans une période où le discours dominant, à la fois sociologique et politique, a travaillé à enterrer depuis les années 1980 ce monde social, perçu comme le vestige d'un passé industriel. « Société post-industrielle » et « classes moyennes » sont autant de notions écrans qui voilent les divisions de classe dans la société et l'assignation d'un nombre important d'individus à des tâches productives répétitives et ingrates. En effet, selon le dernier recensement INSEE de 2008, les ouvriers forment encore près du quart de la population active ; et un homme sur trois ayant un emploi est ouvrier. Surtout, ces ouvriers partagent de plus en plus les mêmes conditions d'existence et de travail qu'un autre groupe social en essor, celui des employés, qui est en fait surtout constitué de femmes, affectées elles aussi à des métiers d'exécution mais dans le commerce ou les administrations. Une femme sur deux ayant un emploi relève de cette catégorie des « employés », dont le salaire moyen est encore plus faible que celui des ouvriers. L'ensemble de ces salariés de l'industrie ou des services, qui subissent des contraintes quotidiennes dans leur vie familiale et professionnelle, forment le vaste ensemble des « classes populaires », qui représentent 55 % de la population active.

Nombreux mais invisibles

Du fait même de cette position sociale subalterne, les ouvriers sont largement absents des représentations publiques dominantes, produites par des journalistes, universitaires, hommes politiques, experts et artistes qui sont éloignés de ces milieux sociaux. Ils en sont éloignés du fait de leur propriétés sociales (origines familiales, profession exercée, niveau de diplôme) et aussi parce qu'ils ne les fréquentent pas.

Les ouvriers sont même devenus invisibles à leurs propres yeux car tout un ensemble de dispositif de gestion de la main-d'œuvre a contribué ces trente dernières années au déclin de la conscience de classe qui caractérisait auparavant ce groupe. Devenus « opérateurs » dans des entreprises où le mot « ouvrier » disparait des classements, mis en concurrence avec des collègues d'atelier qui peuvent avoir des statuts (intérimaires ou stables) et des rémunérations (prime et salaire individualisés) différents ; divisés dans des petites unités où les syndicats peuvent difficilement s'implanter : on peut comprendre que la solidarité ouvrière et la conscience d'appartenance au même groupe se soient émoussées ces dernières années.

Un sociologue du monde ouvrier devrait donc se réjouir du retour, même ponctuel, le temps d'une campagne électorale, des ouvriers sur le devant de la scène médiatique. Mais cette représentation publique révèle en réalité une profonde domination sociale et culturelle du groupe ouvrier : dans l'espace public, les ouvriers sont parlés mais, eux, ils ne parlent guère.

Les figures ouvrières sont mobilisées par des dirigeants politiques issus en très grande majorité de la bourgeoisie et des grandes écoles, qui s'efforcent d'être à l'écoute de mondes sociaux qu'ils ne côtoient pas. Leur rapport au monde ouvrier passe par les rapports d'experts issus des mêmes écoles qu'eux ou par des visites d'usine très médiatisées. La scène politique s'est rétractée autour des classes dominantes et les conditions du jeu politique font que les ouvriers sont en quelques sortes dépossédés des moyens de représenter et défendre leurs intérêts sociaux.

On touche ici une question centrale de la sociologie politique, celle des porte-paroles en démocratie : comment évaluer la légitimité de ceux qui parlent au nom des ouvriers ? Et l'une des principales évolutions récentes, avec en particulier le déclin du PCF, est que l'identité sociale de celui qui prétend défendre les ouvriers et dit connaître leurs aspirations profondes devient secondaire, voire même illégitime à aborder. Le voile jeté sur l'origine familiale et la position sociale de celui qui se fait le porte-parole des ouvriers conforte alors le pouvoir politique des élites.

On parle des ouvriers et de leurs aspirations. D'accord. Mais qui parle d'eux ? Et au nom de quoi certains se font-ils les porte-parole de ce groupe ? En pointant les inégalités sociales de représentation politique, la sociologie soulève alors un enjeu politique : pourquoi les ouvriers sont-ils sollicités dans le cadre d'une lutte électorale pour l'accession au pouvoir ? Est-ce simplement pour qu'ils votent et arbitrent ainsi la lutte des différentes fractions des classes dominantes pour l'accession au pouvoir étatique ? Ou est-ce une participation au jeu politique visant à leur faire acquérir des positions de pouvoir et tenter ainsi de changer leur place dans la division du travail social et politique ? La confrontation électorale relève bien du pouvoir et donc, pour reprendre une notion passée de mode, de la lutte des classes. Dominés socialement, les ouvriers le sont aussi politiquement. L'un des enjeux de leur participation aux combats électoraux n'est-il pas dès lors la remise en cause de leur exclusion de la scène politique ?

Dans les milieux populaires, la situation de dépolitisation est aujourd'hui telle que la mobilisation électorale tend à devenir à elle-même sa propre fin. Voter, c'est en quelque sorte s'intégrer à la société : les sondeurs ou politologues seraient rassurés si les ouvriers boudaient moins les urnes. Mais il faut tout de même souligner les aspects conservateurs de la participation au jeu électoral, qui peut aussi contribuer à faire accepter l'ordre social, à conforter la place sociale et politique de chacun. En ce sens, le réel enjeu n'est-il pas de créer les conditions organisationnelles d'une mobilisation des classes populaires ? Ne doivent-elles être qu'un soutien électoral ? Ou ont-elles la possibilité de se représenter elles-mêmes ?

Retour sur l'histoire du parti communiste français (PCF)

Revenir sur l'ancrage passé du PCF dans les milieux populaires est un moyen d'éclairer les conditions de possibilité d'un engagement ouvrier dans la scène politique. Le mouvement communiste a en effet été conçu comme une entreprise de mobilisation des ouvriers qui ne soit pas simplement électorale, mais une mobilisation militante visant à les faire accéder à des positions de pouvoir dans les institutions électives.

Des années 1930 aux années 1970, l'audience du PCF fut surtout forte dans les milieux ouvriers, d'où étaient issus la plupart de ses soutiens électoraux et le gros de ses troupes militantes, mais également ses principaux dirigeants. Les ouvriers n'étaient pas seulement au centre de sa rhétorique, ils en constituaient également l'essentiel des représentants. La légitimité ouvrière des dirigeants communistes s'expliquait à la fois par leur valorisation de la « classe ouvrière » (dans ses figures emblématiques : le mineur et le métallo) et parce qu'ils étaient eux-mêmes issus des milieux ouvriers. En ne cherchant pas seulement à représenter la classe ouvrière, à parler en son nom, mais en visant à la mobiliser et à lui donner le pouvoir, les cadres du PCF œuvraient à la promotion d'un personnel politique d'origine populaire. Les termes mobilisés étaient significatifs, les dirigeants du « parti de la classe ouvrière » cherchaient à établir des « municipalités ouvrières » et se félicitaient de la présence de « députés ouvriers » sur les bancs de l'Assemblée nationale.

La constitution d'une élite militante d'origine ouvrière reposait sur un important travail de formation et d'encadrement, qui commençait à « la base » et dans les régions industrielles. Les usines constituaient pour les communistes le terrain principal de la lutte politique. L'action dans les entreprises, avec la constitution de cellules communistes et de sections syndicales, trouvait un prolongement direct dans les localités où les militants ouvriers s'appuyaient sur leur prestige syndical pour investir les conseils municipaux. Ils pouvaient ainsi contester le pouvoir des élus en place, recrutés hors des mondes ouvriers, parmi les élites patronales, les membres de l'encadrement des entreprises et les indépendants (commerçants, médecins, pharmaciens, agriculteurs, etc.). En s'appuyant sur le PCF et la CGT, des ouvriers ont accédé ainsi au pouvoir municipal et ont renversé en partie la domination qu'ils subissent dans les entreprises.

La formation d'une élite militante d'origine ouvrière s'est opérée dans le cadre d'un système de formation (les écoles du parti) et de contrôle (les militants devaient répondre régulièrement à des questionnaires biographiques) inspirés du modèle soviétique. Elle a permis l'accession d'ouvriers à des postes de responsabilité dans le parti, ses réseaux syndicaux et associatifs, mais aussi dans les institutions publiques (des mairies à l'Assemblée nationale). La montée dans l'appareil et la détention de mandats électifs étaient strictement contrôlées selon des critères politiques (acceptation de la ligne) et sociaux (origine sociale). L'organisation procurait des ressources collectives et une confiance en soi pouvant compenser partiellement les effets de la faiblesse des ressources culturelles et économiques des militants d'origine ouvrière.

Le mouvement communiste a constitué en cela une tentative de remise en cause des logiques sociales qui excluent les classes populaires de la scène politique. Mais lorsqu'on regarde dans le détail, cette promotion militante a concerné surtout certaines fractions du monde ouvrier, les plus stabilisées. Femmes, salariés peu qualifiés et ouvriers ruraux, ou encore travailleurs immigrés, s'effaçaient souvent derrière la figure de l'ouvrier masculin, français, très qualifié, issu du monde urbain de la grande entreprise. Le « parti de la classe ouvrière » fut donc loin de représenter la diversité des mondes populaires. Surtout, la constitution d'un appareil hiérarchisé et étoffé a provoqué une distanciation progressive de ses cadres à l'égard du quotidien des milieux ouvriers. Les « dirigeants ouvriers », surtout dans les organes nationaux, étaient en réalité des permanents devenus des professionnels de la politique. Les inégalités sociales qui structurent l'accès au champ politique se sont ainsi retrouvées au sein même du PCF avec un relatif éloignement des dirigeants nationaux à l'égard des groupes populaires au nom desquels ils prenaient la parole. Mais ces porte-paroles étaient néanmoins issus du monde ouvrier, où ils avaient fait leurs premières armes militantes, au sein du syndicalisme en particulier.

La promotion de militants et d'élus d'origine ouvrière dans le cadre du mouvement communiste représente ainsi un phénomène remarquable et inédit, car les ouvriers sont d'ordinaire exclus de la scène politique au profit des classes dominantes. Cette promotion s'explique par un volontarisme politique, par une stratégie organisationnelle et des orientations idéologiques, mais elle correspond aussi à un état particulier de la structuration du groupe ouvrier. L'essor du PCF dans l'entre-deux-guerres et son maintien à des niveaux importants d'influence jusqu'à la fin des années 1970 s'inscrit en effet dans une période de croissance et d'unification relative du groupe ouvrier autour des travailleurs qualifiés de la métallurgie.

La désouvriérisation du PCF

Le PCF perd son influence électorale en même temps que son ancrage militant dans les milieux populaires au tournant des années 1970. Le déclin du courant communiste et la marginalisation politique des ouvriers qu'il provoque s'explique d'abord par les mutations de la condition ouvrière. La précarisation de l'emploi ouvrier et l'apparition durable du chômage de masse provoquent un infléchissement des luttes sociales et mettent à mal la transmission d'une culture de classe. Les restructurations dans les grandes concentrations industrielles fragilisent les figures ouvrières traditionnelles (ajusteurs, monteurs, tôliers), qui animaient les réseaux de la CGT et du PCF. Désormais, de plus en plus d'ouvriers travaillent en situation d'isolement dans le tertiaire (chauffeurs, manutentionnaires, magasiniers).

Ce contexte de fragmentation sociale du monde ouvrier joue évidemment un rôle important dans la distanciation des classes populaires à l'égard du PCF. Mais celle-ci résulte aussi d'une stratégie politique qui délaisse progressivement les militants ouvriers au profit des « couches sociales nouvelles », ingénieurs, techniciens et cadres notamment. Les responsables communistes qui émergent à la fin des années 1970 dans les départements sont certes encore très souvent d'origine ouvrière ; mais, en réalité, ils ont de moins en moins travaillé en usine et ont accédé rapidement au statut de permanent.

Le nombre de permanents du PCF augmente tout au long des années 1970 pour atteindre le millier à la fin de la décennie. Surtout, la part des « permanents élus » et des salariés des collectivités locales gérées par le parti s'accroit. Le rapport aux populations ouvrières passe de plus en plus par des gestionnaires, élus ou fonctionnaires, de moins en moins par des militants. Le maintien des municipalités communistes devient un enjeu central et la possession de ressources scolaires ou de « compétences gestionnaires » apparaît progressivement comme un atout pour militer au PCF et monter dans la hiérarchie interne.

Les ouvriers sont de moins en moins présents au sein des réseaux militants. Ils ne constituent plus non plus un élément central du discours du PCF. À la fin des années 1970, dans le cadre notamment de la campagne « Cahiers de la misère », le parti tend à se présenter comme le porte-parole « des pauvres ». Tenu par des permanents plus éloignés du monde industriel, ce discours délaisse la notion de « classe ouvrière » et peut se trouver en décalage avec les ouvriers, qui ne se reconnaissent plus dans cette image dévalorisante qui leur est renvoyée. En se tournant vers les « exclus », les communistes en viennent à se faire les porte-paroles de catégories qu'il s'agit d'aider et non plus, comme dans le cas des ouvriers, de mobiliser et de faire accéder au pouvoir politique.

L'abandon de la rhétorique de classe et de valorisation de l'identité ouvrière trouve son apogée dans les années 1990 avec le « communisme de la mutation » impulsé par Robert Hue. La « mutation » consiste à construire un parti « à l'image de la société » et de rassembler « les gens ». Loin d'être un parti de classe, il s'agit pour le PCF d'être simplement représentatif de la société dans sa diversité, ceci au détriment de sa singularité sociologique ouvrière et de la priorité accordée à la lutte contre l'exploitation capitaliste. La défection électorale et militante des ouvriers à l'égard du PCF (et de la gauche en général) durant ces trente dernières années renvoie donc certes aux transformations sociales ayant affecté les classes populaires mais aussi à des logiques d'éloignement produites par les choix stratégiques et idéologiques des cadres de l'organisation.

L'exclusion politique des classes populaires

Les transformations internes au PCF ont participé à la rétraction contemporaine de la scène politique autour des fractions bourgeoises de la société. Et ce type de changement organisationnel n'est pas sans effet sur la possibilité de prendre en compte les intérêts des classes populaires. En abandonnant la référence au monde ouvrier et à la lutte des classes, le PCF a laissé la place à des constructions concurrentes de la représentation des classes populaires, issues en particulier des classes dominantes.

La destruction des conditions organisationnelles d'une participation des ouvriers à la vie politique renforce la capacité des groupes sociaux et militants éloignés des classes populaires à parler en leur nom. Ainsi le Front national (FN) peut se mettre en scène comme le « parti des ouvriers » sans aucune assise militante dans les quartiers populaires ni les usines. Et en 2007, avec un certain succès, Nicolas Sarkozy a pu se présenter comme le porte parole de « la France qui travaille ».

En 2012, Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre socialiste et actuel dirigeant du Parti de gauche, est le candidat commun du Front de gauche auquel participe le PCF. Comme en 1965 et en 1974 avec François Mitterrand, et après l'échec de 2007 (moins de 2 % des suffrages exprimés pour Marie-Georges Buffet), le PCF soutient donc un non-communiste pour les élections présidentielles. Étrangement, c'est sous l'impulsion de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis issus de la gauche du PS que la campagne communiste retrouve les couleurs idéologiques du « parti de la classe ouvrière ». La (re)conquête de l'électorat ouvrier est en effet intégrée à un discours faisant référence à la « lutte des classes » et aux intérêts contradictoires du « capital » et du « travail ». Grâce à l'appui de réseaux syndicaux, le terrain des usines est valorisé comme lieu de la lutte électorale et du combat culturel, notamment contre le FN.

À ce sujet, il faut souligner que, si Marine Le Pen reste devant la porte des usines, elle n'y entre pas, faute de relais structurés dans le monde ouvrier et de légitimité auprès des organisations ouvrières existantes. Ses soutiens se recrutent surtout parmi les ouvriers de l'artisanat et des petites entreprises, là où les salariés sont pris dans de relations de proximité et de dépendance personnelle avec leur patron, là où la présence syndicale est quasi inexistante. Les salariés des grandes entreprises, où il existe des traditions de lutte lui sont moins favorables.

Les quelques cas très médiatisés de syndicalistes ouvertement proches du FN ne doivent donc pas faire croire à l'existence d'une base syndicale frontiste dans les usines. Au contraire, les études de terrain montrent clairement que la proximité avec un syndicat s'accompagne d'une distance avec le FN et ses valeurs.

Le FN n'a donc pas pris la place qu'avait auparavant le PCF dans les territoires ouvriers. Il n'y a pas de réseaux du FN en milieu industriel, ni d'écoles qui formeraient une élite militante issue du monde ouvrier. Le FN est animé essentiellement par des indépendants (professions libérales, commerçants, artisans). Et, à chaque scrutin, il peine à trouver des candidats à présenter dans les régions ouvrières - même lorsqu'il y recueille de nombreux suffrages.

L'opposition au FN sur le terrain des luttes sociales et de l'intérêt des ouvriers est l'un des axes de la campagne du Front de gauche. Au-delà du dynamisme manifeste de cette campagne, qui remobilise communistes et anciens communistes, l'enjeu reste cependant, pour le PCF, la mobilisation électorale des classes populaires et le renouvellement sociologique de ses structures. Entre les notables communistes souvent vieillissant et leurs techniciens/cadres (collaborateurs d'élus, fonctionnaires territoriaux, etc.), quelle place pour les ouvriers ? Quelle place aussi tout simplement pour les militants ?

Sur ce point, il est important de souligner que Philippe Poutou du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) est le seul ouvrier parmi l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle. Il est mécanicien et militant CGT à l'usine Ford de Blanquefort (Gironde) et sa voix est peu audible. Dans son livre au titre significatif, Un ouvrier, c'est là pour fermer sa gueule, il revient sur le « mépris social » qu'a accompagné son entrée dans la campagne présidentielle. Il explique y découvrir « l'oligarchie des professionnels de la politique et la condescendance de classe de ceux qui dominent la politique institutionnelle ». Être ouvrier toujours à la production et non pas un professionnel de la politique (comme avait commencé à l'être Olivier Besancenot, le premier porte-parole du NPA), est un véritable handicap. Mais si la voix du candidat du NPA porte peu, c'est aussi probablement parce qu'il ne bénéficie pas de conditions organisationnelles propices à une prise de parole collective. Les réseaux militants du NPA sont faibles et peu structurés, notamment dans les milieux ouvriers, car ils recrutent surtout parmi les catégories sociales diplômées, au sein notamment d'une petite bourgeoisie culturelle (enseignants, travailleurs sociaux, employés des services publics) qui constitue l'élite militante du mouvement.

Au sein des partis politiques, les types d'orientations idéologiques, de fonctionnement organisationnel et de composition sociale s'entremêlent étroitement. Cette interdépendance entre les idées, les structures et les hommes contraint les formes collectives de contestation de l'ordre social et politique. Participer au jeu électoral implique alors de lutter contre des forces sociales qui conduisent à l'exclusion des classes populaires de la scène politique.

Julian Mischi

Une permière version de ce texte est parue le 16 mars 2012 sur Mediapart.

—— Sociologue à l’INRA, Julian Mischi co-dirige la collection « L'Ordre des choses » aux éditions Agone. Auteur de Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF (PUR, 2010), il a également préparé l'édition du livre de Christian Corouge et Michel Pialoux, Résister à la chaîne. Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue (Agone, 2011).