Au jour le jour

Des verts et des pas mûrs

J’entendais récemment, à la radio, une personnalité du Mouvement écologiste qui répondait aux questions des journalistes. L’interviewé était en l’occurrence un éminent représentant de cette nouvelle vague verte que les préoccupations grandissantes de l’écologie font remonter comme une écume à la surface du bouillon politicien dans la marmite électorale…

L’entretien roulait évidemment sur les prochaines municipales où l’intéressé, lui-même élu sortant d’une municipalité de la région parisienne, se présentait à la tête d’une liste expressément « écolo ». Avec les protestations faussement modestes d’un dandy buvant les compliments qu’on lui fait sur son élégance, le candidat concédait que ses chances d’être élu ne reposaient pas tant sur ses qualités personnelles hors du commun et celles de ses co-listiers, que sur l’éveil et le renforcement évidents, en France comme ailleurs dans le monde, d’une conscience écologique de plus en plus inquiète et exigeante.

Il était clair, disait-il, que si les « Verts » avaient le vent en poupe, un peu partout, les terribles menaces qui pèsent sur le présent et l’avenir de la planète y étaient pour quelque chose. Bref, il débitait pour la énième fois le couplet désormais bien connu, entonné depuis les tribunes les plus officielles et les chaires les plus autorisées, jusqu’au fond des cours de ferme et des bistrots de village, sur l’exploitation démentielle des ressources de notre Terre, de quelque nature qu’elles soient.

Il allait même – audace devenue depuis peu à la mode – jusqu’à mettre en cause les aberrations et exagérations du sytème capitaliste expressément désigné. Mais il ne s’est trouvé personne parmi ses interlocuteurs pour lui faire remarquer que sa critique systémique risquait fort de rester inopérante. Partout en effet où les Verts sont devenus une force politique organisée, loin de se comporter en adversaires résolus du Marché totalitaire et de la dictature du Capital financier, ils ont contribué essentiellement à mettre en œuvre des politiques d’adaptation du monde aux exigences du libéralisme économique, mission à laquelle la plupart des leaders Verts les plus estimés doivent d’avoir fait une carrière moins périlleuse que leurs homologues indiens d’Amérique latine en butte à des lobbies criminels.

On ne saurait bien sûr en vouloir à ces journalistes, qui sont eux-mêmes de purs produits de l’élitisme petit-bourgeois issu des bonnes filières, de s’abstenir de mettre dans l’embarras leurs amis, collègues, pairs, condisciples ou conjoints de la branche écologique. Ils appartiennent aux mêmes fractions des classes moyennes et ils ont plus ou moins profondément incorporé la conviction que la société capitaliste est le cocon douillet à l’intérieur duquel ils gardent, eux et leurs descendants, une probabilité (qui va diminuant !) de se métamorphoser en papillons.

Ces petits-bourgeois se sentent donc le devoir de conserver ce qui les conserve. D’où leur surdité et leur cécité obstinées à la réalité de leur condition commune véritable : ils sont fiers de passer pour des modérés, des civilisés non violents, des réformistes avec qui on peut dialoguer, entre hommes et femmes de bonne volonté, alors qu’en fait, ils ne sont rien d’autre que les auxiliaires de vie et les nurses du capitalisme. Ils ne se rendent absolument pas compte que leur réformisme est depuis longtemps une imposture, une pose et un refuge pour ne pas affronter la vérité des choses : il ne s’agit pas d’aller « corriger » le capitalisme, de redresser ses « erreurs », de mettre un terme à ses « dérives », de réduire ses « excès », mais de les extirper jusqu’à la racine, qui n’est pas seulement économique et politique, mais indissociablement anthropologique.

Voyons, raisonnons un peu, chers écolos verts, bleus, rouges, et autres, vous savez très bien que l’esclavagisme est, d’un strict point de vue technique, un mode de production très performant, permettant de reproduire, au moindre coût, une grande quantité de travail productif. Pendant longtemps il a efficacement répondu aux besoins économiques. Dans leur immense majorité les esclaves subissaient ce système inhumain faute de pouvoir faire autrement, mais une minorité plus chanceuse réussissait néanmoins à s’y aménager une niche, à y faire carrière, parfois très confortablement.

Imaginez maintenant que, parmi nos concitoyens se constitue un parti dont l’objectif proclamé serait de rétablir l’esclavage, un parti dont le programme affirmerait que, après tout, le régime esclavagiste, puisqu’il permet la survie du plus grand nombre et le succès particulier de quelques-uns, plus talentueux ou plus zélés, devrait être rétabli pour régler les problèmes du capitalisme, accepteriez-vous de soutenir ce parti et l’aideriez-vous à faire fonctionner son indigne modèle de société ? Non, bien sûr. Cette perspective vous révolterait.

Alors pourquoi vous faites-vous les complices du capitalisme ? Pour préserver vos médiocres chances de réussite individuelle ou familiale dans un système qui est au demeurant la négation même de tout ce à quoi vous dites que vous aspirez ? Dans ce cas, cessez d’usurper l’appellation même d’« écologistes » !

Car enfin, si j’ai bonne mémoire, l’idéal des vrais écolos, ce n’était pas d’être les mécaniciens préposés à la surveillance du bilan-carbone d’une machine à produire encore et toujours plus de croissance mais plutôt de casser le moule à façonner l’homo œconomicus, pour aider à ériger, par la raison et par le cœur, la maison d’une Humanité nouvelle.

Alain Accardo

Chronique parue dans La Décroissance en avril 2020.

Du même auteur, vient de paraître, Le Petit-Bourgeois gentilhomme, Agone, coll. « Éléments », troisième édition revue et actualisée.