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Il y a dix ans, Howard Zinn disparaissait

Le 27 janvier 2010, à Santa Monica (Californie), Howard Zinn, âgé de 87 ans, succombait à une crise cardiaque après une réunion publique, en se rendant à une manifestation. Sa fin aura ressemblé à tout ce qui la précéda.

Dans les années 1930, alors jeune ouvrier dans la réparation navale, à New York, Howard Zinn faisant son éducation politique et syndicale avec la lecture des classiques du communisme et de l'anarchisme, sa première rencontre avec la liberté d'expression réelle prend la forme d'une matraque policière lors d'une manifestation.

C'est alors la période du New Deal, véritable « mythe familial » de sa famille d'immigrants : il en fera, vingt plus tard la critique, en historien, celle des limites de l'État-providence et de l'ordre social et économique inspiré par les classes dirigeantes et promues par leurs officines médiatiques.

En 1943, il anticipe son engagement dans l'US Air Force pour se battre contre le fascisme, le racisme et pour la démocratie ; il en reviendra en opposant résolu à toutes les guerres et, en historien, mettra en doute l'idée, vendue par les États, que ce conflit fut une « guerre juste ».

Au milieu des années 1950, diplômé en histoire à la Columbia University, il enseigne au Spelman College (Atlanta) à des jeunes Noires de la classe moyenne du Sud. Engagé aux côtés des militants dans la lutte pour les droits civiques, il prône l'action directe non-violente et devient l'un des historiens des groupes militants radicaux comme le SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee).

Dans les années 1960, licencié de son poste d'enseignant pour insubordination, il trouve un emploi à la Boston University. Jusqu'au milieu des années 1970, sa vie sera rythmée par les luttes contre la guerre du Vietnam. Le discours qu'il propose (en vain) au président Lyndon Johnson, afin d'expliquer au peuple américain pourquoi les États-Unis doivent se retirer du conflit, atteint rapidement une dizaine d'édition.

Les années 1980 sont marquées par la parution de son livre A People's History of the United States [1], dont le succès démultiplie ses interventions publiques ; qui s'ajoutent aux nombreuses qu'il mène à titre d'historien des traditions de désobéissance civile et de spécialiste de la constitution américaine dans des procès intentés aux amateurs d'action directe ou aux côtés des étudiants, dans des batailles pour la liberté d'expression et la justice sociale. Sa carrière d'enseignant se termine en 1988 ; mais il mènera jusqu'au dernier moment son activité d'inlassable conférencier contre la guerre et pour la défense d'une société sans classes où le racisme ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Aussi le retrouve-t-on aussi bien au cœur des mobilisations contre l'impérialisme américain, en particulier avec les interventions militaires en Afghanistan puis en Irak, que contre la réponse si impudiquement partisane que l'État a donnée à la crise bancaire de 2008.

En 2009, son enthousiasme pour l'élection de Barack Obama s'arrêtait à la nécessité, pour que cette élection ne soit pas une nouvelle source de désespérance, d'une mobilisation populaire sociale et politique. Un diagnostic confirmé, au moins pour la politique étrangère américaine par son analyse de l'attribution du prix Nobel de la Paix au nouveau Président.

Howard Zinn aura fait paraître une trentaine de livres, recueils d'entretiens et d'articles et ouvrages collectifs. Son œuvre a reçu de nombreuses distinctions – dont l'American Historical Association's Beveridge Prize, l'Eugene V. Debs Award, le prix des Amis du Monde diplomatique. Et sur la base de son autobiographie, Deb Ellis et Denis Mueller ont réalisé un documentaire qui en reprend le titre, You Can't Be Neutral on a Moving Train (2004) [2].

Son œuvre majeure, A People's History of the United States, traduite dans de nombreuses langues, a fait l'objet d'une série exceptionnelle d'adaptations. Outre plusieurs versions abrégées, dont une pour la jeunesse, et une adaptation en bande dessinée, la partie consacrée au XXe siècle existe en CD-audio, lue par l'acteur Matt Dammon. Si plusieurs lectures publiques ont été organisées depuis quelques années, la mise en scène et la lecture d'extraits de A People's History par une série d'acteurs américains est diffusée depuis décembre 2009, sous le titre « The People Speak », sur le site History Channel, documentaire de Chris Moore, Anthony Arnove et Howard Zinn [3].

Quelques mois plus tôt, Olivier Azam et Daniel Mermet filmaient sa dernière intervention en France, qu’on retrouve dans les films qu’ils lui ont consacrés sous le titre Howard Zinn, une histoire américaine [4] – un premier volet paru en 2015, dont on attend avec impatience la suite [5]

(Une première version de ce texte est paru en 2010 sous le titre « Howard Zinn n'est plus »)

Prochain livre de Howard Zinn à paraître, Conversation sur une histoire populaire des États-Unis (Agone, automne 2020).

Notes