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Les rois de France

Invoqués comme collectif ou à travers certaines de ses plus fortes personnalités, les rois de France constituent pour le candidat aux présidentielles un référent historique suffisamment courant et stéréotypé pour être utilisé sans trop de danger.

La liste des rois cités s’étend de Clovis (466-511), premier des rois francs chrétien, à Louis XIV (1661-1715), figure tutélaire du Grand Siècle français. Entre les deux, mille deux cents ans d’histoire dynastique sont évoqués à travers les figures de Charlemagne (v. 742-814) – bien qu’il ait été plus exactement roi des Francs que roi de France –, Philippe Auguste (1180-1223), Saint Louis (1226-1270), Philippe IV le Bel (1285-1314), Charles VI (1380-1422), Charles VII (1422-1461), Louis XI (1461-1483), François Ier (1515-1547) et Henri IV (1589-1610). Une belle série qui n’omet pas les rois médiévaux ni ne les distingue vraiment de leurs « successeurs » républicains, car pour Nicolas Sarkozy, la France c’est à la fois celle « de Saint Louis et celle de Sadi Carnot (1837- 1894) », ce président assassiné et panthéonisé de la IIIe République {Bercy, 29.04.07]. En tirant un tel trait d’union entre les hommes illustres du passé et en le justifiant par l’idée de nation, Nicolas Sarkozy réactive le mythe d’une continuité nationale depuis Clovis, voire depuis Vercingétorix, ce grand homme que « l’Auvergne bien sûr donna à la France » {Clermont-Ferrand, 27.04.07}.

Ainsi, il repend à son compte une histoire construite il y a plus de cent ans par Ernest Lavisse (1842-1922) et les historiens de la IIIe République. Toutefois, déclarer en janvier 2007 que « la République a réalisé le vieux rêve d’unité des rois de France », c’est développer une rhétorique politique vidée du sens dont les républicains l’avaient investie pour légitimer leur nouveau et fragile régime issu de la défaite de 1870.

Se satisfaisant parfaitement de ce récit mêlant histoire et patriotisme, Nicolas Sarkozy ne voit pas la contradiction à considérer les rois de France comme les fondateurs de la nation française. Si le mythe des origines nationales de la France constitue aujourd’hui un véritable « lieu de mémoire », il n’en est pas moins fondé sur un anachronisme, jouant sur le télescopage produit par le prisme du présent sur des réalités historiques tout autres. Comment ceux qui considéraient qu’être français signifiait, avant tout, être sujets du roi de France peuvent-ils être les fondateurs d’une nation dans laquelle l’identité « nationale » se définit principalement par la volonté de « vivre ensemble » ? L’incompatibilité des conceptions de l’identité recoupe aussi celle de la représentativité. Comment la monarchie absolue de droit divin, fondée sur l’exercice d’une souveraineté personnelle et héréditaire, aurait-elle pu être, sans la Révolution, à l’origine d’une nation fondée sur la souveraineté populaire et qui conçoit la République comme sa forme la plus aboutie ?

À cette conception d’une continuité de l’histoire nationale s’ajoute une seconde perspective, plus ancrée à droite, que révèle la mise en série des figures royales. Résumer plus de mille ans d’histoire par un casting des rois de France relève en effet d’un procédé de glorification, non d’un passé collectif national mais de quelques individus exceptionnels qui n’ont pour point commun que d’avoir gouverné la France. En mettant en avant le rôle primordial des chefs charismatiques, Nicolas Sarkozy expose clairement sa conception de l’histoire et du pouvoir : « Saint Louis et la justice », « Charles VII déchirant le honteux traité de Troyes » – ce traité signé, en 1420, instaurant Henry V d’Angleterre comme l’héritier du trône de France ; ou encore « François Ier imposant le français comme langue administrative » par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.

Individuellement, l’invocation successive des rois de France et de leur principal haut fait dans la construction de l’État a pour effet principal d’exalter la capacité d’un individu à « faire la France », comme si la naissance d’un État ne procédait que d’une succession d’actes symboliques – souvent rangés d’ailleurs au rang d’anecdotes –, au mépris du lent consensus des acteurs sociaux et politiques.

Cette écriture de l’histoire, critiquée depuis François Simiand comme l’« idole individuelle » de la tribu des historiens, se traduit également dans une certaine conception monarchisante de la Ve République. C’est ainsi que la synthèse nationale réclamée par Nicolas Sarkozy s’assume pleinement dans ce double héritage : alors que de la France révolutionnaire est née la République, il conserve de la France monarchique d’Ancien Régime l’idée que son histoire ne peut que s’incarner à travers un homme, un destin – qui n’est plus sacré à Reims mais sur les plateaux de télévision et par les urnes.

Enfin, la répétition de l’expression « rêves des rois de France » crée une confusion entre l’imaginaire et la réalité historique. L’idée que les processus historiques puissent avoir pour origine un « rêve », un dessein fondateur, relève d’une vision téléologique de l’histoire, c’est-à-dire celle d’une marche vers une fin prédéterminée. En se posant comme celui qui permettra à la République et à l’État français d’accomplir son destin, on peut s’interroger sur les motivations du futur président : prétendre réaliser le rêve supposé des rois de France, n’est-ce pas au fond une manière de se rêver roi ?

Fanny Madeline

Extrait de Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France – les mentions entre accolades font références aux discours de Nicolas Sarkozy.

De la même auteure, dernier livre paru, Les Plantagenêts et leur empire. Construire un territoire politique, PUR, 2014.