Au jour le jour

Léon Blum

Né en 1872 dans une famille juive alsacienne montée à Paris, Léon Blum a été un étudiant que l’on pourrait qualifier de « soixante-huitard » avant la lettre. Après avoir réussi le concours d’entrée à Normale sup à l’âge de 18 ans, il est renvoyé de cette école en 1891. Il entreprend alors des études de droit qui lui permettent d’intégrer le Conseil d’État, fin 1895…

Passionné de littérature et de théâtre, Blum se lance en même temps dans une carrière littéraire en collaborant activement à la Revue blanche, très engagée dans le combat pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Les premiers écrits de Léon Blum scandalisent les conservateurs, notamment son essai « Du mariage » (1907), où il préconise l’initiation précoce des jeunes filles à l’amour.

Très influencé par Jean Jaurès, Blum est à ses côtés pendant l’affaire Dreyfus puis dans les combats pour l’unification du parti socialiste et lors de la création du journal L’Humanité. L’assassinat de Jaurès en 1914 marque les débuts de son engagement total dans l’action politique. Lors du Congrès de Tours, en 1920, il devient le chef de file de ceux qui défendent la « vieille maison » et refusent d’adhérer à l’Internationale communiste.

Il dirigera le parti socialiste jusqu’en 1940. Artisan du rassemblement des forces de gauche contre le fascisme, il devient chef du gouvernement après la victoire du Front populaire au printemps 1936. En signant les accords de Matignon, Léon Blum met fin au puissant mouvement de grèves qui paralyse alors le pays. Les augmentations de salaire concédées par le patronat aux ouvriers, puis les 40 heures et les congés payés marquent un tournant majeur dans l’histoire sociale de la France. Accusé par les conservateurs d’affaiblir la nation en attisant la lutte des classes, de détruire la famille par ses théories subversives sur le mariage, Léon Blum va focaliser les haines de la droite et de l’extrême droite. Cible privilégiée de l’antisémitisme, il a même été physiquement agressé, pendant la campagne électorale de 1936, par des nervis d’extrême droite.

Refusant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, il est l’un des quatre-vingts parlementaires qui, en juin 1940, s’opposent à la liquidation de la République et de la démocratie. Emprisonné, traduit en justice par le gouvernement de Vichy, il est arrêté par la Gestapo et déporté à proximité du camp de Buchenwald. Libéré en 1945, il redevient président du Conseil d’octobre 1946 à janvier 1947. Il meurt en 1950, à l’âge de 78 ans.

Léon Blum est l’un des hommes politiques que Nicolas Sarkozy a le plus souvent cités au cours de sa campagne électorale. Néanmoins, ces citations se résument à quelques références, martelées de discours en discours. Elles ont toutes pour but de discréditer les représentants de la gauche d’alors en affirmant qu’ils ne peuvent pas se réclamer de leur illustre prédécesseur, parce que c’est lui, Nicolas Sarkozy, qui est le plus digne héritier de Léon Blum.

On peut d’abord constater que les propos du candidat de la droite d’aujourd’hui sur Blum sont en totale contradiction avec ceux que tenait la droite qui combattait ce dernier. Le leader du parti socialiste est ainsi loué pour avoir « fait de la France une grande nation » {Poitiers, 26.01.07}, alors que la droite de l’époque affirmait au contraire que Blum avait ruiné la nation en accordant satisfaction aux ouvriers.

Dans les discours de Nicolas Sarkozy, Blum est aussi présenté comme celui « qui respectait le travail, qui aimait les travailleurs » par opposition à la gauche adepte des 35 heures et de l’assistanat {Tours, 10.04.07}. Le dirigeant de l’UMP qui a construit sa campagne sur le slogan « Travailler plus » se présente ainsi comme l’héritier de celui qui a signé les accords de Matignon et fait voter les congés payés et la réduction du travail hebdomadaire à 40 heures !

Les références à Blum servent aussi à dénoncer le « communautarisme historique » de la gauche actuelle. Dans chacun de ses discours, Nicolas Sarkozy souligne le fossé qui le sépare de la candidate de la gauche d’aujourd’hui, mais il récuse l’idée d’un clivage droite/gauche dans le passé. « Lorsque la Gestapo a décidé de prendre en otages Georges Mandel et Léon Blum et de les retenir prisonniers dans une petite cabane en bordure du camp de Buchenwald, elle n’a pas fait de différence entre la France de gauche et celle de droite. » {Lyon, 05.04.07} Ce discours de consensus alimente la critique de la repentance et conduit Nicolas Sarkozy à passer sous silence le fait que Blum a été interné et mis en jugement par le gouvernement de Vichy.

De même que l’antisémitisme de Maurice Barrès est occulté, de même le rôle joué par Pétain dans la persécution des Juifs passe à la trappe. Dans la mémoire aussi, le coupable c’est l’étranger et seulement l’étranger. Blum est donc utilisé pour dépolitiser la politique, en la ramenant à des choix purement individuels. Nicolas Sarkozy « revendique le droit » de se présenter comme l’héritier de Léon Blum car il raisonne comme le capitaine de l’équipe de France de rugby, qui prend les meilleurs, quelles que soient leur couleur de peau ou leur idéologie. Blum a été sélectionné dans la dream team du candidat en raison de ses qualités du côté « social ».

(À suivre…)

Gérard Noiriel

Extrait de Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France – les dates entre accolades font référence aux discours de Nicolas Sarkozy.

Du même auteur, vient de paraître, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours