Au jour le jour

Attente

Comme chacun sait, le capitalisme financier n’a été sauvé (provisoirement) de l’effondrement total que par l’injection massive de fonds publics dans le système bancaire occidental.

De Washington à Athènes, les gouvernements en place, tous libéraux à tous crins, n’ont eu aucun scrupule à détourner l’argent de la collectivité pour renflouer à milliards les caisses privées. Si au moins ils avaient tiré en même temps les enseignements de la crise et pris les mesures appropriées pour remédier à ses causes profondes ! Mais rien n’a été fait en ce sens, sinon quelques hypocrites déclarations de principe. Tout s’est passé comme si rien ne s’était passé : les banques, leurs actionnaires, leurs dirigeants et leurs traders continuent à spéculer furieusement, les profiteurs continuent à s’octroyer généreusement des dividendes, des primes, des retraites-chapeaux, des stock-options, à ouvrir des comptes dans des paradis fiscaux, à vivre en nababs, bref, à tricher, piller, corrompre, faire des affaires, quoi !

Et pendant ce temps que fait le peuple ? Rien. Il attend, comme on lui commande de le faire depuis longtemps. Qu’attend-il ? La prochaine échéance électorale. En France, les présidentielles de 2012. Y a-t-il une chance que cette élection apporte un réel changement ? Pas la moindre. L’actuelle majorité de droite attend simplement d’être confirmée dans son entreprise de démolition méthodique de ce qui subsiste encore d’Etat social. Déjà certains de ses représentants ont annoncé la prochaine étape : la disparition des fonctionnaires en vue de la privatisation du secteur public. Mais personne n’a moufté. La mise à l’encan de tous les services devra-t-elle aller jusqu’au rétablissement du marché aux esclaves ou à celui du travail des enfants pour que le peuple s’émeuve enfin ?

On pourrait penser que l’heure est à la mobilisation de toutes les résistances contre cette incroyable régression de la civilisation. On aurait pu imaginer que le Parti socialiste, soucieux de se refaire santé et dignité, se donne pour tâche de fédérer une opposition digne de ce nom. Mais il se tait prudemment, fait le dos rond et les seuls échos qu’on ait de son existence, ce sont les éclats, complaisamment médiatisés, des rivalités qui divisent ses innombrables prétendants au trône. En réalité, le PS en tant que force politique homogène n’existe plus. Ce qu’il en reste, c’est une écurie politicienne dont les ambitieux candidats ne sont d’accord sur à peu près plus rien, sauf sur la nécessité de parachever la mission historique de la nouvelle « gauche » européenne, que Mitterrand fut le premier à acclimater en France il y a quelque trente ans : convertir l’archaïque tropisme socialisant des masses laborieuses en adhésion moderniste au capitalisme et au productivisme de marché présentés comme la condition sine qua non du progrès des peuples.

Et donc le PS continue, imperturbablement, enfermé dans son dogme libéral-social, aveugle et sourd aux déprédations et aux crimes du capitalisme, aux souffrances qu’il engendre, à ses incohérences et ses crises récurrentes, comme si rien ne s’était passé, comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des systèmes possibles. Des millions de salariés se sont levés récemment pour combattre la réforme sarkozienne des retraites. Le PS, avec la complicité des organisations syndicales qu’il contrôle ou manipule en partie, les a plantés au milieu du gué, laissant le mouvement partir à vau-l’eau, sans un mot, sans se mobiliser lui-même, parce qu’il ne veut ni ne peut s’engager à faire une politique foncièrement différente de celle de la droite. Il ne lui reste qu’à attendre tranquillement 2012 et l’alternance pour revenir aux affaires, et pour poursuivre, au nom de « la crise », la version « socialiste » de la casse de l’Etat social.

Et que font les Français « de gauche » ? Rien. Ou plutôt chacun(e) attend 2012 et s’apprête à voter pour le candidat du PS « le plus crédible ». « Le plus crédible », on veut bien le croire : il est banquier et le capitalisme mondialisé lui a déjà confié la direction du FMI, organisme humanitaire bien connu. On peut assurément lui faire confiance pour défendre le monde du Travail…

Et si vous avez le malheur de dénoncer le système électoral complètement pervers et truqué qui permet de faire voter les plus pauvres pour les plus riches et leurs serviteurs, honte à vous, graines d’anar, casseurs, voyous, suppôts du terrorisme, fourriers de l’extrême droite, vous êtes des ennemis de la sainte et immaculée Démocratie toujours pure ! Ce sont nos journalistes qui le disent et question démocratie, ils en connaissent un bout, les porte-voix de Bouygues, Lagardère, Dassault, Pinault, Rothschild et Cie !

Alain Accardo

Chronique initialement parue dans le journal La Décroissance, du mois de février 2011. —— Alain Accardo a publié plusieurs livres aux éditions Agone : De notre servitude involontaire (2001), Introduction à une sociologie critique (2006), Journalistes précaires, journalistes au quotidien (2006), Le Petit Bourgeois Gentilhomme (2009), Engagements. Chroniques et autres textes (2000-2010) (2011).