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Lutter contre la résignation et la peur

Les Forges de Clabecq est une usine sidérurgique près de Bruxelles. Pour Silvio et ceux qui y travaillent, le quotidien, c’est d’abord le combat contre les attitudes de résignation et de peur. Dans son livre, Silvio relate trente ans de luttes pour améliorer les conditions de travail et pour empêcher la fermeture du site. Avec une confiance jamais démentie dans sa classe, Silvio témoigne d'un certain optimisme – même dans la lutte contre une fermeture – et de la conviction que la force des travailleurs, c'est le nombre et l'unité de la classe. Et il refuse de condamner la violence des travailleurs comme d'exclure cette violence de l'arsenal de la lutte. Silvio le dit sur un ton d'évidence, qui contraste salutairement les propos de nos politiques et de nos journalistes, qui ont pris l'habitude de réclamer des travailleurs qu'ils condamnent leur propre violence.

Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation

À partir de 1992, la lutte contre la fermeture a réellement commencé. Aux Forges de Clabecq, des secteurs de l’usine fermaient ou étaient restructurés chaque année. Lors des élections syndicales de 1995, la lutte contre la fermeture, les exclusions et le chômage était au cœur de notre programme et de toutes les assemblées du personnel. Nous réclamions un plan industriel et des investissements.

Entre 1992 et 1995, on se préparait contre la fermeture, dans l'usine et à l’extérieur. Cela faisait des années que nous intervenions dans d'autres conflits, à Volkswagen, à Caterpillar, lors des grèves des enseignants et des étudiants… Les travailleurs de Clabecq participaient en nombre aux luttes, toujours en première ligne. En 1992, nous avions des amis partout en Belgique, désireux de nous soutenir en cas d’affrontement.

Lors des élections de 1995, les travailleurs devaient choisir onze délégués. Nous avons gagné ces élections haut la main, avec neuf délégués ouvriers FGTB.

Resserrer les rangs en vue de la bataille

Le rapport de forces syndicales à l’intérieur de l'entreprise était favorable : l’étape suivante était de mobiliser autour de nous un maximum de forces extérieures.

Nous avions compris la nécessité d’unifier les sidérurgistes des différentes entreprises de Belgique. Pour ce faire, des autocars de travailleurs de Clabecq partaient faire le tour de toutes les sidérurgies. À notre arrivée, on trouvait parfois les portes fermées et cadenassées, des gardiens nous empêchaient d’entrer. Dans les faits, derrière eux, c’était l’appareil syndical qui répandait la méfiance et les rumeurs, menant un travail de sape envers la délégation de Clabecq.

Nous avons alors demandé une réunion avec la Centrale des métallurgistes, afin de rencontrer les représentants de toute la sidérurgie belge. Nous leur avons posé la question : « La faillite nous guette. Quel sera votre soutien ? » La réponse fut on ne peut plus claire : « Nous sommes tous sur le même bateau, et il coule. Vous serez les premiers. Puis ce sera nous, mais nous ne sommes pas pressés. On ne peut rien pour vous. » Aucun soutien concret, donc.

À partir de 1995, nous sommes intervenus pour éteindre tout foyer d’incendie aux Forges. Les provocations de la direction ne manquaient pas. Ils cherchaient une occasion pour déposer le bilan. Nous avons même eu droit à une grève des employés et des cadres ! Assis dans la cour, ils bloquaient l’usine. La fermeture menaçait, les salaires ne seraient peut-être pas payés à la fin du mois et ces gens, absents de toutes les luttes auparavant, étaient là à bloquer l’usine. Un excellent prétexte offert au patron pour déposer le bilan ! Après six jours, nous avons réuni les militants. C’en était trop. Nous sommes allés au piquet et avons accordé deux minutes aux cadres et aux employés pour évacuer les lieux. Nous leur avons botté les fesses, en vrai, et ils ont repris le travail. Aujourd’hui encore, je ne peux pas dire qui a fait quoi, comment et par qui le signal a été donné. Ça s'est passé sur le vif, en un regard ! Nous les avons saisis par la cravate et hop, dans les bureaux !

Les rats quittent le navire

Le 24 janvier 1996, les patrons, Dessy père et fils, principaux actionnaires privés, abandonnent la direction de l'usine. Les autres industriels quittent le conseil d’administration. La Région wallonne, qui avait investi dans toute la sidérurgie depuis le début de la crise en 1975, reprend la gestion de l’usine et place à sa tête des fonctionnaires qui ne connaissent rien à la sidérurgie.

Le 5 février 1996, à notre appel, la région de Tubize se mobilise : 10 000 personnes manifestent pour le maintien des Forges.

La Région wallonne, notre nouvelle direction, commande un audit sur la sidérurgie belge, mené par le commissaire européen Jean Gandois. Cet ancien actionnaire des Forges avait lâché l’entreprise en même temps que la famille Dessy. Le résultat de l’audit est attendu pour le 23 mai 1996.

Entre-temps, nous apprenons que le ministre socialiste Flahaut travaille à un plan de reconversion pour l’ensemble de la région. Non seulement il est en train de nous enterrer, mais ils veut construire une prison sur le site des Forges. Quel cynisme !

L'inquiétude et la tension montent dans l’usine. Nous ne travaillons plus de nuit. Le chômage technique touche 50 % des travailleurs. Nous revendiquons toujours le maintien de tous les outils et un refinancement de 5 milliards de francs.

Le nouveau directeur annonce à la télévision que la Région wallonne ne fera part de sa décision quant à l'avenir des Forges que le 17 juin car,« pour l'instant, le gouvernement wallon ne possède pas suffisamment d'éléments pour écarter toute idée de faillite ». Le 7 mai, il est séquestré par 200 ouvriers. Le but : obtenir un engagement clair et précis sur l’avenir des Forges.

Le 7 juin, nous partons à Namur où la délégation des Forges rencontre le gouvernement wallon pour obtenir des garanties. Pendant ce temps, les ouvriers sont confrontés à un important dispositif de gendarmerie : autopompes, grenades lacrymogènes, matraques. Les affrontements sont rudes. Nous continuons les actions en manifestant à Bruxelles devant la Commission européenne. Les étudiants et les lycéens nous rejoignent.

Le commissaire européen Jean Gandois se prononce pour la fermeture de la phase à chaud (hauts-fourneaux, aciérie et coulée continue). Cela signifierait la liquidation de 1 400 emplois.

Grâce à notre fermeté et à notre mobilisation, la Région wallonne s’engage le 14 juin, à l’encontre de l’audit, à recapitaliser les Forges à hauteur de 1,5 milliard sur deux ans et à les faire tourner dans leur intégralité jusqu’en 2002.

Le 18 décembre 1996, la Commission européenne bloque la recapitalisation pour aide d’État « illégale ». Immédiatement, nous allons à la Région wallonne avec toute la délégation pour y rencontrer le ministre Collignon qui, dans les faits, est devenu le patron des Forges. « Devons-nous nous attendre à des mauvaises nouvelles pendant les fêtes de fin d’année ? » Il nous répond : « Il n’y a pas de problème, une solution sera mise en place pour le mois de janvier. »

Le lendemain, 19 décembre, nous apprenons le dépôt de bilan.

L’insurrection couve

Collignon, le socialiste, nous avait bien eus ! Nous convoquons une assemblée du personnel pour le lendemain. La presse est prévenue, beaucoup de gens extérieurs à l’usine sont là : la mobilisation bat son plein. 2 500 personnes sont présentes, à six heures du matin ! Ambiance insurrectionnelle après l’assemblée… Nous partons manifester en ville.

Le mot d’ordre est simple : le paiement des salaires du mois de décembre. Aucune banque de Tubize ne sera épargnée, pas une de leurs vitres laissée intacte. Les patrons sidérurgistes avaient déserté l'industriel et s'étaient reconvertis dans la finance et les banques : ces institutions étaient devenues le symbole de la destruction de l'emploi et des outils. Comme le dépôt de bilan signifiait aussi l’arrêt de tous les paiements, nous sommes allés exercer la pression sur le bourgmestre de Tubize, pour qu’il débloque un budget pour payer nos salaires, sous la menace de lui démonter la maison communale. Rien de cela n’avait été préétabli, c’était la rage des travailleurs qui s’exprimait. Le bourgmestre a trouvé l’argent nécessaire.

Nous avons alors commencé à préparer, dans l’usine, les dossiers de chômage de tous les travailleurs. Nous savions que l’étape suivante, c’était la faillite et l’arrêt du travail. Nous avons mis sur pied une équipe d’une vingtaine d’ouvriers, qui ont constitué en quelques jours 2 000 dossiers.

Opposer l’ordre au désordre et le calme à l’affolement

Nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle et préoccupante. La direction de l'usine est alors aux mains de fonctionnaires de la Société wallonne de la sidérurgie, avec à leur tête Froidmont. Celui-ci, après avoir présenté en cinq minutes la situation au conseil d'entreprise, prend les clés de l'usine et nous les remet en disant : « L’usine est à vous. » Et il s’en va. Les bureaux de la direction sont vides, ouverts. Celle-ci a abandonné physiquement l’usine ! Les cadres et les ingénieurs ne savent plus à quel saint se vouer. Sans leur Bon Dieu de patron, ils sont perdus. La majorité des gens paniquaient et exprimaient leur découragement. Tout avait été abandonné tel quel, les ateliers, les bureaux, toutes portes ouvertes.

La délégation syndicale, le comité de militants et tous les travailleurs qui les entouraient ont décidé d'assurer en priorité la protection de l’outil. Les cadres ont accepté de travailler sous notre direction pendant cette période. Pour éviter la destruction de l’outil et garantir l’alimentation des groupes électrogènes et des moteurs indispensables au service, nous avons contacté l’ingénieur des Mines. Les Forges avaient leur propre centrale électrique, mais elle dépendait des hauts-fourneaux qui étaient à l’arrêt, comme toute l'usine mise en veille.

Nous avons mis au travail des groupes d’ouvriers dans tous les secteurs de l'usine pour préserver les outils en fonction, malgré l'incertitude totale qui régnait. Contre le pillage, par des ferrailleurs ou des gens qui pensent pouvoir s’approprier ce qui est « à l’abandon », nous avons posé un grillage de 20 mètres autour de l'usine. Nous avons mis sur pied notre propre service de gardiennage qui fouillait les voitures à la sortie et empêchait l'entrée de véhicules extérieurs. Deux cent cinquante hommes ont bossé pratiquement à plein temps sans être payés.

Le danger principal se situait au haut-fourneau, car, mis en veilleuse, il doit être surveillé. L’entretien du système de réfrigération est essentiel. De l’eau pénètre à l’intérieur et se transforme en hydrogène : explosif. Dans la ligne de fabrication de la fonte liquide, il peut y avoir production d’acétylène. En contact avec l’air et l’humidité : explosif. Arrêter les systèmes de drainage qui évacuent l’eau peut noyer les moteurs, ce qui aurait rendu impossible toute remise en service de l’usine.

Il ne s’agissait pas seulement des machines. Nous devions protéger la population. Nous avons alerté les autorités publiques, qui nous ont renvoyés à la direction fantôme. Un administrateur provisoire a fini par être nommé en la personne de l’ingénieur de l’aciérie. Du fait qu’il avait perdu toute crédibilité, comme la plupart des cadres, il a dû s’appuyer sur nous et sur le personnel pour que la logistique suive.

La politique est une guerre sans effusion de sang

Le 3 janvier 1997, le tribunal de commerce déclare la faillite et désigne des curateurs. Arrivés dans l’usine comme des martiens conquérants, sans la moindre connaissance de l’industrie ni des relations sociales et croyant être les grands maîtres, sans aucune considération pour la délégation et les travailleurs, ils donnent leurs ordres. Le 6 janvier, ils présentent un projet de reprise du travail. 1 300 ouvriers seraient réengagés pour un mois. La presse s'emballe, enthousiasme général ! Mais quand on examine la chose de près, il s’agit de vider l’entreprise, de vendre les stocks, bref de rendre tout redémarrage impossible. Pour nous, pas question de liquider. D’accord pour le travail, mais un travail bien fait : commander les minerais, les mettre dans le haut-fourneau, produire la fonte, la mener à l'aciérie, produire l’acier, ensuite les tôles aux laminoirs et quand la tôle sort, la mettre en vente.

À l’annonce de la faillite, nous n’avons pas appelé les travailleurs à manifester. Ils étaient très surpris et la pression pour nous pousser à l’action immédiate était très forte. Mais nous avions acquis l’expérience que les activités bien organisées, réfléchies, étudiées et débattues assuraient la participation de la majorité des travailleurs, des délégués et des militants du comité d’usine. Chacun devait avoir un rôle dans la mobilisation. Nous voulions associer les habitants de la région, les familles des travailleurs, les militants syndicaux de toutes les centrales, les pensionnés et les prépensionnés de Clabecq, les jeunes, les travailleurs des services publics. Nous avons mobilisé les commerçants sur la base de leur intérêt à ce que l’activité économique des Forges de Clabecq continue. Au niveau syndical, nous avons abordé différemment les ouvriers et les employés. Pendant un mois et demi, nous avons résisté à la pression d’agir précipitamment. Nous voulions bien préparer nos troupes pour que le mouvement n'avorte pas. Face à nous, des gens étaient déterminés à nous anéantir.

Il y a un temps pour pêcher et un temps pour préparer les filets

Dans un conflit, il faut toujours penser aux problèmes qu’il faudra résoudre, aux solutions qu’il faudra trouver. Face à des adversaires qui refusent d’arriver à des accords, le risque d’implosion sociale et d’actions désespérées est réel. Cela peut faciliter la criminalisation du mouvement. Les dirigeants d’un mouvement savent qu’une grève n’est pas éternelle. S’il s’avère nécessaire de la prolonger, le plus de gens possible doivent se mobiliser. L’énergie pour la durée, c’est dans la masse la plus large des travailleurs qu'elle se trouve. C’est ainsi que nous avons tenu aussi longtemps dans cette bataille.

Nous ne pouvions pas laisser sortir les travailleurs de l’usine dans l’état de rage où ils étaient. La seule façon d’éviter des situations dangereuses, des opérations casse-gueule, de gros accidents, peut-être même des morts, c’était de leur adjoindre une masse beaucoup, beaucoup plus large. Employer toute cette rage et toute cette force pour organiser une grande manifestation, fixée au 2 février 1997. Utiliser toute la conscience des travailleurs pour mobiliser la solidarité à l’extérieur, dans les autres entreprises, parmi les militants syndicaux et plus largement dans la population de toutes les régions. Nous avons mis tous les militants au travail, pour réaliser des affiches, des tracts. Chaque document était diffusé dans les boîtes aux lettres, sur les marchés, aux portes des entreprises, dans tous les villages d’alentour. Chaque action était annoncée par communiqué de presse. Notre équipe presse avait réalisé un dossier complet. Au point de vue médiatique, nous étions très entourés, pas toujours de manière favorable bien sûr.

Le tract qui appelait à la marche du 2 février mettait en avant l’unité de tous les travailleurs de Belgique contre les licenciements et les fermetures, contre l’exclusion, la misère et le chômage, pour la justice sociale. Il proposait d’aller chercher les richesses produites par les travailleurs et accumulées chez les banquiers pour investir dans les entreprises et sauvegarder l’emploi.

Ne pas épuiser ses troupes au combat

En dehors des assemblées, nous ne voulions pas que les travailleurs restent dans l’usine, afin de ne pas épuiser les énergies. Ils partaient gagner un peu d’argent – en travaillant à gauche et à droite – ou ils jardinaient. Afin de faciliter les déplacements nécessaires aux actions – plus de la moitié des ouvriers habitaient loin de l’entreprise – nous avons fait appel aux permanents syndicaux qui avaient dit pouvoir payer quelques jours de salaire. Cette aide financière a servi aux frais de transport des travailleurs. Chaque fois qu’ils venaient à l’usine, ils recevaient 400 francs pour l’essence et de petits frais. Nous donnions la même chose aux pensionnés et prépensionnés de l'entreprise. Cela permettait une participation plus large.

Peu avant le 2 février, la mobilisation était très forte. Lors d’une assemblée de 1 500 travailleurs, nous les avons mobilisés pour distribuer un tract dans toute la Belgique afin d’appeler à la manifestation. Nous avions imprimé un demi-million de tracts ! La couverture médiatique a permis d’amplifier la mobilisation. Pendant cette période, les assemblées étaient ouvertes aux personnes extérieures, à la presse, aux syndicalistes des autres entreprises, à la population… Nous voulions la totale transparence. Qu’on ne puisse pas nous accuser de manipulation ou nous criminaliser !

Nous avions prévu d’organiser des trains spéciaux en provenance des principales régions du pays à un prix plancher. Les délégués du chemin de fer ont entamé les démarches. Ils n’ont reçu aucune réponse. Finalement, nous y sommes allés nous-mêmes. Au cours d'une discussion très ferme, il est apparu que les dirigeants syndicaux du conseil d’administration des chemins de fer faisaient blocage. Voilà quelle a été la contribution de nos dirigeants ! Ce sont les cheminots de base qui ont organisé trois convois et transporté gratuitement les manifestants jusqu’à la gare de Clabecq.

S’appuyer sur l’effet de la puissance collective

Le 2 février 1997 approchait. Nous sommes convoqués au bureau de la Centrale des métallurgistes de Belgique. Le président national de la FGTB nous dit qu’il souhaite prendre la parole à la fin de la manifestation. Nous lui avons répondu : « Si c’est pour exiger un plan garantissant l’avenir des Forges, tu peux prendre la parole. — Non, je veux juste remercier les gens de leur participation. » Nous avons refusé sa demande. Il ne voulait qu’être vu. Les relations entre l’appareil syndical et nous étaient déjà tendues, mais là, ça culminait.

Cette manifestation, nous l’avons appelée la marche multicolore, en contraste avec la marche blanche organisée quelques mois auparavant. Le blanc ne correspondait pas pour nous à la réalité sociale du pays. Le mot multicolore donnait un sens plus politique. Nous appelions à une marche pour l’emploi et contre les exclusions. Ce que nous avions toujours mis en avant dans nos combats, bien avant la faillite. À ce stade, nous ne luttions plus seulement pour notre emploi, mais contre le chômage dans toute la Belgique. Nous étions des chômeurs parmi des centaines de milliers d’autres. Pour nous, Clabecq était le symbole d'une société à la dérive.

Le 2 février 1997 était le jour le plus froid des dix dernières années. Pourtant, les gens sont venus. De tous les horizons, ils affluaient. Les premiers rangs se sont formés spontanément. Nous n’avions pas voulu organiser la tête du cortège, il n’y avait pas de raison : chacun était important. Toutes les rues de la ville étaient noires de monde. De l’autre côté du village, la police nous signalait que plus de 70 autocars étaient garés le long de la route. Les derniers arrivés se parquaient à sept kilomètres et marchaient en se demandant quand ils allaient arriver. Cependant, la joie de se retrouver si nombreux faisait tout oublier.

Il y avait beaucoup de pancartes, de calicots, de drapeaux, les couleurs syndicales et de tous les partis politiques, d’immenses portraits de Marx…. Des panneaux au nom d’entreprises. Des familles entières. Beaucoup d’enseignants, d’étudiants, de travailleurs sociaux. Des patrons de petites entreprises, des fonctionnaires, des agriculteurs. Un nombre important d’artistes. Chacun affiche ses préoccupations et revendications. On voit des pancartes « Je marche parce que rien ne marche ! » L’ambiance est chaleureuse, joyeuse, très familiale.

L’objectif que nous nous étions fixé était de 10 000 participants, pour dépasser le nombre de la manifestation organisée un an auparavant, lorsque Dessy, le patron des Forges, avait abandonné l’usine. 70 000 personnes s’accumulaient devant le podium. 70 000 !

Silvio Marra et Françoise Thirionet

Extraits choisis de Moi, Silvio de Clabecq, militant ouvrier, vient de paraître aux éditions Agone, p. 97-114.