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Leur feriez-vous crédit ?

Pourquoi on aurait tort de faire confiance aux «sages» choisis par la Commission européenne pour préparer la «régulation» du système financier...

En ce qui concerne le législateur, j'ai la conviction que l'«influence sur la réglementation» des analystes du marché des services financiers est allée trop loin au fil des ans : leurs lobbies sont très puissants. 

Charlie McCreevy, Commissaire européen responsable du marché intérieur et des services, février 2009 [1]

Le 25 février 2009, un Groupe de Haut Niveau sur la supervision européenne de la finance remettait son rapport [2] au Président de la Commission européenne, José Emmanuel Barroso. Celui-ci souligna immédiatement la «richesse» d'un rapport «équilibré», émanant d'un « groupe indépendant » qui servirait de « menu » sur lequel la Commission allait se baser pour présenter sa communication au Conseil lors du sommet européen de printemps des 19 et 20 mars 2009 [3].

Avec cinq autres ONG, l'Observatoire de l'Europe industrielle (CEO) - qui depuis la publication de ''Europe Inc. Comment les multinationales construisent l'Europe et l'économie mondiale'' continue d'étudier et de dénoncer l'influence structurelle et toujours aussi méconnue des plus importants intérêts privés au cœur du processus décisionnel européen - s'est penché sur le pedigree de ce «groupe des 8» appelé aussi «groupe de La Rosière», du nom de son président, Jacques de Larosière de Champfeu, ancien Directeur général du FMI et Gouverneur de la banque de France.

Leur rapport intitulé «Leur feriez-vous crédit ? Pourquoi on aurait tort de faire confiance aux "sages" de la finance qui conseillent l'UE» arrive à la conclusion qu'«il est difficile d'imaginer plus belle illustration d'un accès privilégié aux décideurs par des intérêts particuliers.»

En effet soulignent les auteurs, sur «les 8», tous nommés par le Pt Barroso, quatre sont étroitement liés aux géants de la finance que sont :

  1. Goldman Sachs, avec M. Otmar Issing, surnommé le «Pape de l'orthodoxie monétaire» du temps où il était en fonction à la Banque centrale européenne avant de passer dans le privé, et par ailleurs membre du CA de la fondation Friedric Van Hayeck en Allemagne,
  2. la BNP, avec M. Jacques de la Rosière
  3. Lehman Brothers, à travers M. Rainer Masera
  4. Citigroup, à travers M.Onno Ruding qui préside aussi le plus important think tank neoliberal à Bruxelles, le Centre for European Policy Studies.

«Un cinquième - M. Callum McCarthy - présidait l'autorité de régulation financière au Royaume-uni qui a complètement échoué à contrôler la banque Northern Rock». Un député britannique l'a même accusé au Parlement britannique de «ne pas s'être seulement endormi, mais d'avoir été carrément comateux». Un sixième est un adversaire farouche de toute régulation : il s'agit de M. Leszek Balcerowicz, ancien ministre des finances polonais, qualifié de «héros du libéralisme» par le très à droite Cato Institute et un septième, M.José Pérez Fernández, est employé par une société de conseil dont les clients sont des banques. Et pour parachever le tout, la majorité d'entre-eux sont chaudement partisans des politiques monétaristes, néolibérales et de déréglementation qui selon de nombreux analystes sont responsables de la crise.» [4]

OnnoRuding

Tout cela n'a pas empêché - toujours selon le CEO - début mars 2009 M. Onno Ruding, conseiller rémunéré de Citigroup qui possède Citibank acteur majeur de la crise financière, lors de sa présentation publique du rapport à Bruxelles dans les locaux du Centre for European Policy Studies qu'il préside et devant un parterre de lobbyistes, d'insister sur l'indépendance de ce groupe de haut niveau et de la «voix indépendante» qu'il y représentait lui même. [5]

Le CEO signale sur son blog que la «Commission européenne a mis à jour son registre (public) de groupes d'experts pour y inclure le groupe Larosière, ajoutant, qu'il est remarquable que ls 8 membres y soient inscrits comme "universitaires", alors que la plupart d'entre-eux n'ont pas de lien avec l'Université.» [6] Par ailleurs, dans le même registre, à l'entrée «BNP" on apprend que celle-ci est représentée par... M. de Larosière! Pour le CEO, cela constitue un exemple typique de la «nouvelle approche de la Commission" : «Il n'y a pas de conflit d'intérêts de la part des administrateurs de grandes sociétés quand ils siègent à titre personnel»... [7]

Faute d'intégrer des parlementaires, ce groupe avait peu de chances de se faire l'écho même du débat alors en cours au Parlement européen notamment sur la régulation des fonds spéculatifs [8]. Quant aux autres propositions émanant de la société réelle qui découvre et paye les conséquences de la dérégulation financière, en l'absence de toute expertise indépendante représentée il n'y avait aucun «risque démocratique» qu'elles puissent figurer au menu dans lequel la Commission sélectionnerait les plats à servir au Conseil. Ajoutons qu'il y avait également peu de risques que la presse se fasse l'écho des critiques particulièrement bien documentées de ces cinq ONG qui n'en sont pas à leur premier rapport.

Toujours lors de la même présentation du rapport, le conseiller de Citigroup, Onno Ruding, avait d'ailleurs cru devoir insister: «la mission du groupe n'était aucunement d'appeler à plus de régulation ou de supervisation». Et le CEO de conclure: «Les principales mesures de régulation proposées par le groupe Larosière doivent être mises en œuvre par la Banque centrale européenne, sans rien changer à l'absence de transparence que permet son statut actuel et plus généralement sans mettre en cause les principes fondamentaux de l'auto-régulation de la finance.» [9]

Loin d'être une exception, c'est là un des charmes trop discrets du processus décisionnel européen, comme la lecture d'Europe Inc et le précieux travail du CEO pourrait en convaincre le plus europhile. Il y a cependant fort à parier que les élections européennes à venir ne seront nullement l'occasion d'en souffler mot, crise financière ou pas. Et peut-être d'abord pour protéger l'image que les «députés» européens ont du mandat auquel ils postulent, c'est à dire d'eux-mêmes, quand le pouvoir législatif ne leur appartient même pas formellement, ce qu'ils peinent généralement à reconnaître, contribuant de fait à dissimuler aux électeurs les véritables acteurs du processus décisionnel européen.

Consulter l'intégralité du rapport «Leur feriez-vous crédit ?» (en anglais)

Notes