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Parlons net !

Le 11 novembre dernier, une manifestation de plusieurs centaines de personnes a eu lieu à Paris en faveur des mal logés. Parmi les personnalités présentes à la manifestation, se trouvaient Josiane Balasko et Carole Bouquet. La première a dit, comme on a pu l’entendre à la télé : "Je me demande ce que foutent les mecs du Parti socialiste, où est l'opposition". Quant à la seconde, elle a déclaré : "Je demande au président de la République pourquoi il y a une telle différence de traitement dans un pays qui se dit de l'égalité entre les citoyens, quelles que soient leur couleur et leur origine".

Mmes Balasko et Bouquet sont assurément de grandes comédiennes. En l’occurrence elles jouent les ingénues en faisant semblant d’ignorer les réponses aux questions rhétoriques qu’elles posent. Toutefois, dans l’hypothèse improbable où cela leur aurait échappé, je me permets de leur rappeler que :

1°/ Les « mecs » du PS ne « foutent » plus rien depuis longtemps, du moins en tant qu’opposants à la politique de droite. Parce que, en tant que comparses et attelage de rechange pour le char de l’Etat capitaliste, ils se démènent beaucoup, allant même jusqu’à rejoindre ouvertement la mangeoire sarkozienne. La soi-disant opposition socialiste est aux mains d’une troupe de bateleurs et de bonimenteurs qui font mine de critiquer le pouvoir sur des questions subalternes pour mieux le seconder sur l’essentiel. Cette collusion ne date pas d’hier. Nous étions déjà nombreux à la dénoncer au cours de toutes ces années où la plupart des vedettes du monde des arts et du spectacle avaient encore pour le PS les yeux de Chimène et agrémentaient de leur présence les raouts de la gauche-caviar plutôt que les comités de soutien aux opprimés et les manifestations de rue des salariés en lutte. On peut féliciter Mmes Balasko et Bouquet de nous démontrer qu’elles ne font pas partie, quant à elles, des saltimbanques qui courent faire de la figuration au banquet des puissants.

2°/ Nous ne sommes pas, contrairement au discours rituel de célébration de la propagande officielle, dans un régime démocratique digne de ce nom, où le peuple serait véritablement souverain, où le souci constant de l’égalité irait de pair avec le goût de la liberté et la recherche de la fraternité. Nous sommes dans une société néo-féodale, où une caste dominante s’octroie des privilèges exorbitants et impose sa loi tout en enrobant d’un verbiage pseudo-démocratique une politique marquée par le culte inconditionnel et décomplexé de l’Argent, le pouvoir arrogant des riches, la dévotion au Patronat, la crainte haineuse de « la rue » c’est-à-dire des mobilisations populaires, le dégoût pour les parias et les exclus, le mépris pour le plébéien et le collectif. Une société où la démocratie n’est plus que faux-semblant et communication, façade bavarde et tartuffarde pour masquer la violence meurtrière des rapports de domination.

Voilà ce que je dirais à Mmes Balasko et Bouquet, si j’avais l’honneur de leur parler. Mais je suis prêt à parier que tout cela, elles le savent déjà. Aussi ajouterai-je une dernière réflexion :

Il est plus que temps, pour celles et ceux qui bénéficient de quelque notoriété, qui ont le privilège d’avoir une image publique plus ou moins prestigieuse, et qui entendent lutter sérieusement contre l’injustice, d’en finir avec les prudences langagières et les euphémismes rhétoriques, de cesser de substituer l’action humanitaire au combat politique, et de se décider à prendre position clairement en appelant « organisation criminelle » le système capitaliste, « gangs maffieux » ceux qui, de droite ou de gauche, le dirigent et en tirent bénéfice, et « complices » tous ceux qui ne le combattent pas ouvertement. Leur image en sera peut-être écornée, mais elle y gagnera en crédibilité.

Alain Accardo

Chronique parue dans La Décroissance en février 2008. Et édité dans le recueil Engagements (2011) —— Dernier livre d'Alain Accardo aux éditions Agone, Introduction à une sociologie critique (2006)